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LM

Du cacao au coeur de la forêt équatoriale

Je voulais vous parler de travaux de recherche que j'ai mené au sein de l'IRD avant de devenir agricultrice, il y a maintenant près de 10 ans. Ces travaux portaient sur l'étude des agroforêts cacaoyères au Cameroun et de leur évolution (structure, biodiversité, et étude socio-économique). Par ce biais, je souhaite vous inviter à vous questionner sur les relations que vous entretenez avec la forêt, l'agriculture, les plantes médicinales, les matériaux du quotidien. Loin de prétendre que la situation des agriculteurs au Cameroun est idéale, cette immersion dans la forêt équatoriale a beaucoup questionné ma relation à mon environnement et j'ai tiré beaucoup d'enseignements des agriculteurs locaux qui vivent dans cette région du monde de façon très autonome.


Le cacao est une petit arbre de quelques mètres de haut originaire d'Amérique latine, les cacaoyers ont été introduit au Cameroun lors de la colonisation du pays par les allemands.

Structure multistrate
Agroforêt cacaoyère

Dans cette zone du Cameroun, le cacao a été incorporé au système de production vivrier (abattis-brulis) pour devenir une des principale culture de rente. Ainsi, le cacao est cultivé à l'ombre de grands arbres pouvant atteindre 50 m de haut, accompagné de nombreux arbres  fruitiers indigènes et plantés comme les avocatiers, les pruniers africains.


Par rapport à des forêts naturelles, les agroforêts sont écosystèmes simplifiés, mais elles possèdent néanmoins plusieurs strates d'arbres et une grande diversité biologique : une cinquantaine d'espèces d'arbres différentes sont fréquemment conservées.


Les agriculteurs les sélectionnent selon de nombreux critères : leur place dans la plantation, la qualité de leur ombrage, leurs fruits, leur éventuel pouvoir fertilisant sur le sol, leurs propriétés médicinales, la qualité de leur bois comme matériaux de construction.

Les arbres d'ombrage limitent le développement des herbes, la coupe de l'herbe se limite à une seule opération (réalisée à la machette) et permet aux agriculteurs de mener de front plusieurs activités (champs vivriers, production de surplus pour les marchés des villes, chasse et pêche). Les feuilles qui tombent au sol jouent un rôle significatif dans la fertilisation dans des zones où les intrants agricoles ne sont que peu disponibles. Là où la monoculture intensive du cacao induit un épuisement rapide des sols en nutriments, les arbres d'ombrage des plantations permettent le recyclage de la matière organique et des nutriments tels que l'azote, le phosphore, le calcium et le magnésium. Par ailleurs, les arbres d'ombrage ont un rôle important dans la régulation du microclimat favorable à ces variétés anciennes de cacaoyer réduisant le stress causé par le soleil direct. De ce fait, les cacaoyers ont une longue durée de vie avec une productivité maintenue ce qui fait des cacaoyères un patrimoine héritable d'une génération à l'autre.


La vente du cacao tient une place très importante dans l'économie des familles, elle permet de payer les frais de santés, de scolarité, l'achat de matériaux de construction comme les tôles des maisons, ainsi que les mariages et les deuils. Les plantations de cacao sont dans cette zone pour grande partie des plantations anciennes. Dans les années 1970, certaines politiques publiques ont induit des plantations massives de cacao. Cependant, les cours mondiaux du cacao ont connu de nombreuses fluctuations avec des taux pouvant être très bas rendant l'effort d'entretien de ces plantation peu intéressant pour les producteurs. De nombreuses plantations ont donc été délaissées en faveur d'autres activités (agriculture vivrière, chasse, pêche), puis remobilisées lorsque les prix de vente du cacao sont redevenus intéressant.

Ces types de plantation sous ombrage présentent donc une grande résilience : certes elles deviennent improductive lorsque les plantations ne sont pas entretenues (faibles prix de vente, décès du propriétaire), mais elles peuvent le redevenir au besoin. Les variétés de cacao dites modernes à fort rendement et poussant sans ombrage ne présentent pas de telles caractéristiques.


Des arbres d'ombrage aux nombreux usages pour la vie quotidienne


Dans la pharmacopée locale, l'usage de décoction d'écorces d'arbres est très importante. Il est très fréquent de rencontrer dans les plantations de cacao des arbres dont les écorces des arbres ont été prélevées pour soigner fièvres, coupures, convalescence, paludisme, parasites intestinaux.

Selon les espèces, ils ont de nombreuses autres fonctions comme fruits de consommation, utilisation des fruits comme appâts de pêche, la production de résine pour allumer les feux ou un usage rituel, des matériaux du quotidien.

Les champs de cacao, comme les champs vivriers attirent également de nombreux animaux qui sont capturés par les propriétaires et qui fournissent une partie des apports en viande dans ces zones où l'élevage est absent.





Les agroforêts comme outil de conservation ?

La nécessité d’intégrer la gestion de paysages en dehors d’aires protégées dans les mesures de conservation de la diversité biologique semble aujourd’hui faire consensus. Les mesures de conservation basées uniquement sur les aires protégées montrent leurs limites : les surfaces de territoire sous ce statut de protection sont peu importantes et l’efficacité même de ce mode de conservation est contestée. A l'échelle mondiale, la forte demande de cacao au cours des dernières décennies à induit une plantation massive de monoculture de cacao avec des variétés "améliorées" ne nécessitant pas d'ombrage, et donc souvent perçues comme une cause de déforestation à l'image du palmier à huile. Or certaines pratiques paysannes permettent une sorte de compromis entre les besoins humains et la conservation de la biodiversité qui nécessiteraient d'être encouragées et mieux comprises pour en améliorer le rendement.


Cet exemple des agroforêts pourvoyeuses de nombreuses ressources monétaires, alimentaires, médicinales ainsi que de nombreux services écosystémiques (stockage de carbone, conservation des sols, conservation de la biodiversité, cycle de l'eau) peut-il être un modèle pour nos modèles agricoles ? Quelle valeur attribuer aux savoirs sur l'écologie des arbres et leurs usages. La résilience de ces plantations donne à réfléchir à la place des arbres dans notre paysage ou les forêts et les champs sont spatialement séparés depuis longtemps.


Pour approfondir le sujet vous pouvez consulter le livre https://www.ird.fr/habiter-la-foret-tropicale-au-xxie-siecle-un-ouvrage-collectif



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